RecrutementComment expliquer l’IA aux candidats sans les perdre ?

Recrutement

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Comment expliquer l’IA aux candidats sans les perdre ?

Mick Nertomb

Parlons vrai. L’IA est entrée dans le recrutement par une petite porte (tri de CV, préqualifications) et s’y est installée à grande vitesse. Mais si l’on veut qu’elle simplifie la vie des candidats de terrain - et pas seulement celle des recruteurs, il faut la rendre visible et compréhensible. Pas de magie. Pas de jargon. Pas de boîte noire. De la pédagogie, des garde-fous, et une promesse tenue : l’IA aide, l’humain décide.

C’est l’esprit de cet article : comment expliquer l’IA aux candidats sans les braquer, quoi dire, quand le dire, et pourquoi cette transparence est devenue autant un impératif éthique qu’un avantage compétitif. Nous nous appuyons sur l’expérience terrain, sur des cas réels, sur les exigences réglementaires qui se précisent, et sur ce que nous disent les candidats eux-mêmes dans notre livre blanc “IA & métiers de terrain : les clés pour mieux recruter”.

Livre blanc

IA & métiers de terrain

Découvrez notre étude exclusive menée auprès de 5200 candidats aux métiers de terrain pour adapter vos pratiques de sourcing à l'ère de l'IA.

Mettre un visage sur la “transparence” : l’histoire de Samira

Samira n’a pas de temps à perdre.

Elle bosse en équipe du matin, gère une logistique familiale millimétrée, et cherche un poste d’opératrice en entrepôt. Le mercredi soir, elle répond à une annonce claire et remplit un formulaire sur mobile. Au bout de quelques minutes, un message apparaît :

Nous utilisons un assistant automatisé pour vérifier certaines informations et accélérer les réponses. Un recruteur relira ensuite votre dossier. En savoir plus.

Samira clique.

Elle lit ce que l’outil regarde (disponibilités, habilitations, expériences proches du poste), ce qu’il ne regarde pas (apparence, émotions, origine), qui décide au final (un recruteur) et comment refuser l’automatisation (parcours alternatif). Elle comprend pourquoi l’entreprise s’en sert : “gagner du temps sur des vérifications factuelles, réduire l’attente entre candidature et première réponse”.

Elle postule.

Le vendredi, elle reçoit un SMS : “Votre profil correspond à nos attentes. Un recruteur vous appelle lundi. Si vous préférez un entretien en présentiel, cochez ici.

Rien d’extraordinaire. Juste une promesse intelligible et tenue. Et c’est souvent là que se joue l’acceptation.

Pourquoi la transparence n’est plus un “plus” mais la condition de la confiance

La transparence n’est pas que de la communication : elle évite les malentendus qui brisent la confiance. Quand les candidats ignorent ce que l’outil fait, ils supposent le pire. Et ils ont des raisons d’être prudents : plusieurs histoires ont rappelé que des systèmes mal conçus peuvent répliquer des biais.

  • Le cas Amazon a marqué les esprits : un moteur de tri interne “apprenait” des CV historiques et défavorisait les femmes. Le projet a été abandonné, soit un signal fort sur la fragilité d’outils conçus sans garde-fous suffisants et sans gouvernance sérieuse.

  • Autre exemple marquant : HireVue a abandonné l’analyse faciale dans ses entretiens vidéo après la multiplication de critiques méthodologiques et pression d’associations. Là encore, la question n’était pas d’interdire l’IA, mais d’abandonner ce qui n’est pas fondé et n’est pas explicable.

Ces cas ne signifient pas “l’IA est mauvaise par nature”. Ils disent : si l’on automatise une partie du recrutement, il faut le faire à livre ouvert. L’IA peut améliorer la rapidité et l’équité si on expose ses critères, organise une revue humaine et mesure ses effets.

Ce que le droit attend de vous (et pourquoi ça vous aide à mieux expliquer)

Le cadre législatif se précise jour après jour et, bonne nouvelle, il structure la pédagogie à fournir aux candidats.

En Union européenne, l’AI Act classe les systèmes d’IA utilisés pour le recrutement, la promotion, l’affectation ou la surveillance au travail dans la catégorie “à haut risque”. Concrètement, cela signifie : gestion des risques, qualité et gouvernance des données, documentation, transparence et informations au déployeur, surveillance humaine, robustesse. L’essentiel s’appliquera à partir du 2 août 2026, avec certaines dispositions anticipées dès 2025.

En clair : impossible d’utiliser une IA RH sans expliquer son fonctionnement, ses limites, et les mesures de supervision humaine.

En France, la CNIL rappelle l’essentiel pour le recrutement : information claire, minimisation des données, droits d’accès et de rectification, encadrement du profilage et des décisions entièrement automatisées au sens de l’article 22 du RGPD. Elle a publié un guide recrutement et des ressources pédagogiques pour les professionnels et pour les candidats. Ces contenus offrent une base précieuse pour écrire vos notices et vos pages “Comment nous utilisons l’IA”.

En gros, la loi vous pousse à formaliser votre discours candidat.

Si vous êtes capables d’expliquer clairement où l’IA intervient, quels critères elle regarde, ce qu’elle ne fait pas, qui décide, comment contester, vous êtes sur de bons rails, et vous cochez déjà la moitié des attentes du terrain que nous détaillons dans le livre blanc.

Ce que les candidats veulent entendre, et à quel moment

Notre étude montre que l’acceptabilité progresse quand la transparence est utile, timée et humaine. Plutôt qu’un pavé légal, privilégiez un parcours d’explication en trois temps.

▶️ Avant la candidature (annonce + page “Notre IA”)
Exposez l’intention : “Nous utilisons un assistant automatisé pour accélérer la préqualification sur des points factuels (ex. habilitations, disponibilités). Ces suggestions sont toujours relues par un recruteur.” Renvoyez vers une page de référence qui décrit les critères regardés et ceux exclus, les droits (parcours alternatif, appel humain) et un contact pour les questions. Cette page ne sert pas qu’aux candidats : elle renforce votre marque employeur en posant des principes (transparence, équité, human oversight) - une démarche que des acteurs globaux comme LinkedIn ou Indeed ont rendue publique pour leurs produits.

▶️ Pendant la préqualification (formulaire + e-mail court)
Affichez un encart clair : “L’outil analyse ce que vous déclarez (CV, réponses) pour vérifier l’adéquation au poste. Il n’analyse pas votre apparence ni vos émotions. Vous pouvez demander une évaluation humaine.” Ce message réduit l’anxiété avant les étapes automatisées, surtout pour des métiers de terrain où la méfiance tient souvent à l’opacité, pas à l’outil en soi. Les exigences de l'État de New York (notice + caractéristiques évaluées) et de l’Illinois (langage simple) donnent d’excellents repères de ton.

▶️ Après une décision (explication + appel humain)
Si la candidature n’est pas retenue, proposez une explication brève (“Nous n’avons pas identifié [telle compétence], indispensable pour ce poste”) et proposez une intéraction humaine. Le Colorado AI Act formalise précisément cet esprit d’appel et c’est, côté candidat, un puissant marqueur de respect et de transparence.

Transparence IA recrutement

Comment le dire : la bonne grammaire de la transparence

La transparence n’est pas un PDF juridique : c’est un dialogue. Voici la “grammaire” qui fonctionne, et pourquoi.

Dire à quoi sert l’outil, sans sur-vente
Le message “gain de temps sur le factuel” est compris et accepté. Il évite l’effet “machine qui juge ma personnalité”. On reste dans l’utilité concrète, pas la magie. Les candidats s’y retrouvent, comme le confirment nos propres interrogations auprès de plus de 5000 candidats de terrain..

Nommer ce que l’IA ne fait pas
Dites explicitement “pas d’analyse faciale, pas d’inférence de caractéristiques sensibles”. L’affaire HireVue a montré à quel point ces pratiques brouillent la confiance, même quand l’intention n’est pas malveillante.

Rappeler la place de l’humain
Le superviseur humain est plus qu’une mention : c’est un engagement. L’AI Act consacre cette idée : éviter la surrégence au système, interpréter la sortie, pouvoir arrêter ou ne pas suivre la recommandation. Dites-le, et tenez parole.

Expliquer les droits sans décourager
Vous pouvez demander un parcours alternatif” n’est pas une menace pour votre efficacité : c’est l’assurance-vie de votre acceptabilité, et c’est conforme à l’esprit des textes visant à encadrer l'usage de l'intelligence artificielle.

Le mot qui change tout : “pour vous”

Revenons à Samira. Ce qui l’a décidée à postuler, ce n’était pas une charte sur la transparence, c’était une phrase qui disait ce que l’IA fait pour elle et le traitement de sa candidature :

“Nous l’utilisons pour accélérer la réponse, vérifier rapidement des points factuels, et vous proposer un créneau d’échange humain plus rapidement.”

La transparence la plus efficace n’est pas une défense : c’est une promesse d’utilité, adossée à des preuves (notice claire, alternative humaine, explication en cas de refus) et à un cadre solide (AI Act, RGPD, guides CNIL, audits à la NYC, références NIST/ISO). Quand cette promesse est tenue, l’IA cesse d’être un totem anxiogène et devient ce qu’elle doit être : un accélérateur équitable.


En rendant l’IA explicable, encadrée et réellement supervisée, on réduit la méfiance sans renoncer à la vitesse. La transparence n’est pas un vernis : c’est une promesse opérationnelle qui clarifie ce que l’outil regarde, ce qu’il n’évalue jamais, la place de l’humain dans la décision et les recours possibles. C’est aussi un marqueur de maturité pour la marque employeur : des notices lisibles, une alternative humaine accessible, des audits publiés quand ils sont requis et des messages écrits en langage clair. Résultat côté candidats de terrain : moins de frictions, des parcours mieux compris, et des décisions perçues comme plus justes.

Le chemin est toutefois pragmatique : documenter, expliquer, prouver, puis mesurer et améliorer en continu sont des démarches indispensables. C’est cette “pédagogie en production” qui transforme l’IA en véritable accélérateur d’équité et de réactivité.

Rien d'autre.

Mick Nertomb

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